"Che Guevara, argentin de par son
passeport, est devenu cubain dadoption par le sang et la sueur quil a versés
pour le peuple cubain. Et surtout, il est citoyen du monde libre, le monde libre qui est
ce monde quensemble nous sommes en train de bâtir. Cest pourquoi nous disons
que Che Guevara est lui aussi africain [
] . Che Guevara appelait son béret la
boïna. Un peu partout en Afrique, il a fait connaître ce béret et cette étoile. Du
Nord au Sud, lAfrique se souvient de Che Guevara. " (Thomas Sankara,
8 octobre 1987, Ouagadougou, une semaine avant sa mort durant le coup détat.)
Près de trente ans après la mort du
" Che ", les autorités cubaines rendirent public ce qui manquait dans
la biographie du " guerillero heroico ", soit un point
dinterrogation marquant lannée 1965, même si, en Afrique notamment, des
vétérans des luttes passées étaient au courant.
Le Che était alors au Congo Léopoldville en tant
que combattant internationaliste pour soutenir le mouvement révolutionnaire congolais
dans sa lutte contre le gouvernement de Moïse Tschombe, soutenu par les puissances
occidentales et des mercenaires blancs belges, français, américains, rhodésiens,
belges, britanniques, etc.. Que sest-il passé pendant ces quelques mois de
présence du Che sur le sol africain ? Comment a-t-il vécu sa lutte contre le
néo-colonialisme de lépoque ? Quelles furent ses relations avec les
combattants congolais, mais aussi rwandais qui luttèrent à ses côtés ?
Essayons de lever quelque peu le voile sur cette
année 1965 qui vit, outre le fait que le Che combattit sur le sol africain, sous
dautres latitudes les morts violentes (assassinats) de Mehdi Ben Barka et de Malcolm
X
LAfrique, une préoccupation du Che
Guevara
Le premier avril 1965, laube se lève sur
Cuba. Ernesto Guevara, accompagné de deux révolutionnaires cubains affirmés (Victor
Dreke et José Martinez Tamayo) monte dans un avion de la Cubana (lignes aériennes
cubaines) en partance pour Moscou. Après un long périple passant par diverses capitales
dEurope de lEst, Alger, Le Caire et Nairobi, les trois hommes atterrissent
incognito à Dar Es-Salaam. Leur présence est tenue secrète et le Che a été grimé,
maquillé par les services secrets cubains, et voyage sous une fausse identité,
évidemment. Même ses anciens camarades de lutte à Cuba ne lont reconnu sous ce
déguisement.
Le Che compte quelques atouts : son intérêt
pour lAfrique dont nombre de pays luttent alors contre les puissances
néo-colonialistes et sa connaissance du français parlé et écrit qui lui
servira et le rendra incontournable dans sa nouvelle lutte mais surtout son expérience de
la guerre de guérilla.
Si le Président Nyerere a donné son accord à
une participation cubaine et à lutilisation de son territoire par les Cubains pour
aider la lutte en cours au Congo, pour acheminer combattants, armes, vivres, matériels
divers, il nest pas au courant de la présence du Commandant Guevara.
Lambassadeur cubain à Dar Es Salaam, Pablo Rivalta, met tout ce quil peut en
uvre pour tenir secrète la présence du révolutionnaire dorigine argentine.
Cette présence sur le territoire congolais durera
jusquau 21 novembre. Dans le projet de livre intitulé " Passages de la
guerre révolutionnaire. Congo " que le Che avait rédigé, le révolutionnaire
a fait preuve de lucidité et dautocritique ; en voici les premières
lignes :
" Cette histoire est celle dun
échec. Elle va jusquau détail anecdotique correspondant à des épisodes de la
guerre, mais elle est nuancée dobservation et desprit critiques car
jestime que si le récit peut avoir une certaine importance, ce serait de permettre
den extraire une série dexpériences utiles pour dautres mouvements
révolutionnaires. La victoire est une grande source dexpériences positives, mais
la défaite lest aussi et plus encore, selon moi, lorsque, comme cest le cas
ici, les acteurs et les informateurs sont des étrangers partis risquer leur vie dans un
pays inconnu, où on parle une autre langue et auquel ils sont unis uniquement par les
liens de linternationalisme prolétarien. [
] Cette histoire est plus
exactement celle dune décomposition. "
Mais avant den arriver à ce constat, quelle
fut limplication du Che dans les luttes de libération africaines ?
Lassassinat de Lumumba, un
traumatisme du Che
Avant de poser son pied au Congo (Léopoldville),
le Che a fait preuve de solidarité envers lAfrique en lutte contre le colonialisme
et le néo-colonialisme de lépoque. De nombreux discours et écrits en témoignent.
Le plus marquant est certainement un discours fait
en face de lassemblée générale des Nations Unies, 11 décembre 1964 où il dit
notamment : " Les peuples dAfrique sont forcés de supporter que
soit encore officialisée sur ce continent la supériorité dune race sur
lautre et quon assassine impunément au nom de cette supériorité. Les
Nations Unies ne feront-elles rien pour lempêcher ? Je voudrais parler plus
particulièrement du cas douloureux du Congo, cas unique dans lhistoire du monde,
qui montre comment on peut léser le droit des peuples avec limpunité la plus
absolue, le cynisme le plus insolent. Les immenses richesses que possède le Congo et que
les nations impérialistes veulent conserver sous leur contrôle en sont les motifs
directs. [
] mais la philosophie du pillage na pas cessé. Elle reste même
plus forte que jamais et cest pour cela que les mêmes qui ont utilisé le nom des
Nations Unies pour perpétrer lassassinat de Lumumba assassinent au nom de la race
blanche des milliers de Congolais. Comment pouvons-nous oublier la façon dont a été
trahi lespoir quavait mis Patrice Lumumba dans les Nations Unies ?
[
] Il faut venger le crime du Congo. [
] Un animal carnassier qui se nourrit
des peuples sans défense, [
] voilà ce qui caractérise le
" blanc " de lempire. "
Cest dailleurs au cours de ce séjour
à New York quil sentretient avec Malcolm X et quin extremis il renonce
à participer pour des raisons évidentes de sécurité à un meeting en compagnie du
leader noir américain à Harlem. Il écrit alors un message qui sera lu lors de cette
réunion par Malcolm X. Les relations entre les deux hommes se font par
lintermédiaire de Babu, révolutionnaire de Zanzibar et ministre tanzanien qui
devra plus tard sexiler selon le bon vouloir de Nyerere.
Selon Pierre Kalfon, auteur de la meilleure
biographie du guerillero, au cours de ce séjour " Malcolm X a parlé au Che de
son projet de monter une brigade de volontaires noirs afro-américains pour porter secours
aux Congolais. " Avec le recul, il apparaît plus que vraisemblable que les
contacts entre les deux révolutionnaires feront peur aux autorités américaines et que
le FBI de John Edgar Hoover décidera alors de la mort de Malcolm X deux mois plus
tard
Différents contacts sont pris
Au delà des mots, sont les actes. Lorsque le Che
décide dapporter son concours aux " autres terres du monde qui réclament
la contribution de [ses] modestes efforts " comme il lécrit dans sa
lettre à Fidel Castro dont nous reparlerons plus loin, il a déjà pris de nombreux
contacts avec des dirigeants progressistes africains et a effectué plusieurs voyages dans
différents pays du continent.
Ainsi, de décembre 1964 à février 1965,
Ernesto Guevara fait une " tournée africaine " qui le conduit en
Algérie (plusieurs fois), au Mali, au Congo-Brazzaville, en Guinée-Conakry, au Ghana, au
Dahomey et en Tanzanie, hormis une parenthèse qui le conduit en Chine au début du mois
de février et enfin en Egypte. Outre Ahmed Ben Bella, Modibo Keita, Alphonse
Massemba-Debat, Sekou Touré, Kwame Nkrumah, Julius Nyerere et Nasser, présidents
respectifs de ces pays, il met à profit son voyage pour rencontrer différents dirigeants
révolutionnaires du continent. Cest ainsi quil rencontre, par exemple,
Amilcar Cabral à Conakry, Samora Machel, Marcelino Dos Santos, Agostinho Neto à
Brazzaville, mais aussi quelques-uns des dirigeants du mouvement révolutionnaire
congolais (Soumaliot, Kabila, Mujumba et Tchamlesso) à Dar Es Salaam.
A peine deux mois plus tard, le Che retournera
donc, incognito cette fois, dans la capitale tanzanienne.
Ces rencontres dans la capitale tanzanienne lui
vaudront décrire quelques notes qui savéreront prémonitoires quant à la
suite : " La visite à Dar Es Salaam sest révélée
particulièrement instructive. Une quantité considérable de Freedom Fighters y résident
qui, dans leur majorité, vivent commodément installés dans des hôtels et ont fait de
leur situation une véritable profession, une occupation parfois lucrative et presque
toujours aisée. [
] Ils ont généralement sollicité un entraînement à Cuba et
une aide financière ; cétait leur leitmotiv à presque tous. "
Le " discours
dAlger "
Cest également au cours de ce voyage
quil prononce le fameux " discours dAlger " qui lui vaudra
certainement dêtre " sacrifié " dans la jungle bolivienne sur
lautel des relations entre Cuba et lURSS. Le discours prononcé par le Che est
une véritable plaidoirie pour le Tiers-Monde et sa liberté. En effet, le Che ne mâche
pas ses mots et fustige lattitude des pays dEurope de lest. Voici
quelques fragments de ce discours historique qui peut-être scellera le destin du Che,
dont sa mort en Bolivie : " La pratique de linternationalisme
prolétarien nest pas seulement un devoir pour les peuples qui luttent pour un
avenir meilleur ; cest aussi une nécessité inéluctable. [
] Nous devons
tirer une conclusion de tout cela : le développement des pays qui sengagent
sur la voie de la libération doit être payé par les pays socialistes. [
] Nous
croyons que cest dans cet esprit que doit être prise la responsabilité
daider les pays dépendants et quil ne doit plus être question de développer
un commerce pour le bénéfice mutuel sur la base de prix truqués aux dépens des pays
sous-développés par la loi de la valeur. [
] Nous devons convenir que les pays
socialistes sont, dans une certaine mesure, complices de lexploitation
impérialiste. [
] On alléguera que le volume des échanges avec les pays
sous-développés constitue un pourcentage insignifiant du commerce extérieur de ces pays
[socialistes dEurope de lEst]. Cest absolument vrai mais cela ne change
rien au caractère immoral de cet échange. Les pays socialistes ont le devoir moral de
liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs de lOuest. "
Ce discours renvoyant dos à dos pays socialistes
dEurope de lEst et pays impérialistes ne laissera pas indifférentes les
autorités soviétiques qui accuseront le Che de " déviance
idéologique "
Il est clair aujourdhui que ce que lon
pourrait qualifier de pensée guevariste ou de " guevarisme " fut
davantage tourné vers le Tiers-Monde que vers lidéologie communiste orthodoxe, ce
modèle du " grand frère " soviétique étant devenu caduc aux yeux
et à la pensée de Guevara après sa tournée africaine. Le Che prend à ce moment
conscience que la lutte pour lindépendance totale du continent africain (mais aussi
de lAmérique du Sud ou de lAsie) est à lavant-garde du combat contre
limpérialisme, ou plutôt contre les impérialismes
Quelques jours plus tard, Ernesto
Guevara rencontre à nouveau Nasser au Caire. Il lui fait part de son projet daller
aider le mouvement révolutionnaire congolais. Le Raïs lui, fait part de ses
doutes au commandant cubain : " Vous métonnez beaucoup.
Voulez-vous devenir un nouveau Tarzan, un Blanc venu parmi les Noirs pour les guider et
les protéger ? [
] Cela ne réussira pas. En tant que Blanc, vous serez
aisément repéré [
] et vous fournirez aux impérialistes loccasion de dire
quil ny a pas de différence entre vous et les mercenaires. "
Arrivée en Tanzanie et départ pour
Kigoma
Le Che Guevara arrive en Tanzanie le 11 avril.
Cuba a envoyé par ce pays au Congo des combattants cubains noirs qui le rejoignent petit
à petit et sentassent dans lambassade cubaine de Dar Es Salaam avant de
rejoindre le Congo. Armé dun dictionnaire de français-kiswahili, le Che devient
" Tatu ", Léonard Dreke est " Moja ", et José
Martinez Tamayo est baptisé " Mbili ", pourtant, le vrai
" numéro un " est bien le Che. Tous les Cubains se verront par la
suite baptisés dun nom de guerre en kiswahili.
Le 20 avril , un premier groupe de quatorze
Cubains, dont le Che, part de Dar Es Salaam pour le Congo accompagné de deux chauffeurs,
de Tchamlesso et dun policier tanzanien pour passer plus facilement les road-blocks.
Le voyage est long de près de 1800 km. Le 22 avril, le petit groupe arrive à Kigoma, sur
le Lac Tanganyika.
Le Che écrit dans son journal que " La ville est un
endroit calme où les infortunés peuvent vivre en marge des hasards de la lutte. La
Direction révolutionnaire ne tiendra jamais assez compte du rôle de Kigoma avec ses
bordels, ses débits dalcool et surtout le fait quelle est un lieu
incontestable de refuge. "
Le Che Guevara face à la Réalité congolaise
Lorsque le Che arrive en Tanzanie
le 11 avril , son optimisme est justifié. Cuba a envoyé par ce pays au Congo des
combattants cubains noirs pour, dune part " tromper
lennemi " ; dautre part, sensibiliser ces combattants à une
lutte qui doit les interpeller par " solidarité internationaliste ",
lAfrique étant leur continent dorigine. Le Che est alors le seul Blanc
prenant part à cette lutte. Pour masquer son identité -et son importance- tout est fait
pour le rendre invisible aux yeux et oreilles des services secrets impérialistes. Arrivé
en Tanzanie, le Che devient " Tatu.
Après une nuit passée à la résidence du
gouverneur de Kigoma, cest enfin la traversée du Lac Tanganyika pour Kibamba, au
Congo. Celle-ci est périlleuse, le vent sest mis à souffler et les barques
empruntées par 13 combattants cubains et le Che sont en mauvais état. Arrivé à
Kibamba, le Che note que parmi les combattants congolais " à côté de gens
très peu préparés, sans doute des paysans, on en remarque dautres plus cultivés,
vêtus autrement, connaissant mieux le français ; entre les deux groupes, il y a une
distance nette. ". Un des soldats cubains présents (Emilio Mena) note
également : " Nous ressentons une froideur [
] et nous nous
demandons : serait-ce parce quil y a des Blancs parmi nous ? Ou le fait
même de la présence de tous ces étrangers que nous sommes ? ".
Pendant les premiers jours,
Ernesto Guevara se heurte à la réalité congolaise. Il découvre quentre les
combattants congolais et leur état-major ou leurs dirigeants, existe une certaine
hostilité. En effets, les dirigeants passent surtout leur temps à Kigoma ou Dar Es
Salaam et sont donc coupés de leurs hommes qui sur le front ne vivent pas aussi
confortablement. De plus, les visites promises par Kabila ne sont pas souvent suivies
deffet. La nourriture est peu abondante et les Cubains découvrent le
" bucali " (ugali) et le " zombe " (isombe).
Mais ce qui préoccupe le plus le Che est la
pratique de la " dawa ", un jus élaboré par un
" muganga " à partir de différentes plantes et qui protège contre
les balles ennemies celui qui en est aspergé. " Jai toujours craint
que cette superstition ne se retourne contre nous et quon nous rende responsables de
léchec dun combat où il y aurait beaucoup de morts, écrit-il, Aussi, je
cherche à en parler avec différents responsables dans le but dessayer de les
convaincre de laisser tomber cette pratique. Impossible, cest une véritable
profession de foi ".
Les jours passent. En attendant larrivée de
Kabila, le Che, qui a ordre de ne pas bouger avant de le rencontrer, organise la vie à la
base de Kibamba, instaurant formations militaires pour les Congolais et cours de français
ou de kiswahili pour les Cubains, construisant des salles de classes et un hôpital
rudimentaires.
Tchamlesso se rend à Dar Es Salaam pour informer
Kabila de larrivée des Cubain et de la présence du Che. Il racontera plus
tard : " Je suis parti à Dar Es Salaam et jai parlé à Kabila.
Il sest effrayé, comme moi. Tout le monde sest effrayé. [
] Donc, il
est saisi, mais il accepte le défi et demande quon se taise, quon ne dise
rien aux Tanzaniens. "
Pour tuer le temps, le Che redevient médecin et
commence à soigner villageois et combattants congolais. Il se rend compte que parmi ces
derniers, nombreux sont ceux qui sont atteints de maladies vénériennes contractées dans
les maisons closes de Kigoma. Il soigne aussi beaucoup dintoxications dues au
" pombe " mal préparé. Les villageois avec qui le Che réussit à
établir de bons contacts lui donneront le surnom de " Tatu Muganga ".
Alors que Raul Castro, Ministre de la Défense de
Cuba (et frère de Fidel) envoie un deuxième groupe dune centaine de soldats
cubains au Congo, le Che en apprend tous les jours sur le terrain et découvre les
Rwandais habitant au Congo et éleveurs. "Cette communauté nous permettait
davoir recours à la précieuse viande de buf qui soigne tout, même la
nostalgie ", écrit Guevara dans son journal.
Le Che découvrira également quil existe de
nombreuses dissensions entre combattants Rwandais et Congolais, ce qui ne facilitera pas
la lutte
Le 2 mai, le Che apprend larrivée dun
second groupe de 18 Cubains et, à sa grande surprise, rencontre Osmany Cienfuegos. Osmany
apprend au Che le décès de sa mère quil savait malade. Il écrira :
" En ce qui me concerne personnellement, Osmany mannonce la nouvelle la
plus triste de la guerre ".
Les guerilleros cubains arriveront ensuite de
façon échelonnée, ce qui fera monter leurs effectifs à un peu plus de 120 hommes.
La démoralisation guette
Le commandant Ernesto Guevara et les militaires
cubains vont sombrer peu à peu dans une routine démoralisatrice. Kabila, plusieurs fois
annoncé ne vient toujours pas rencontrer le Che sur le front, ce qui paralyse toute
action de combat.
Ce qui pourrait redonner le moral aux guerillero
serait des actions contre lennemi impérialiste. Le Che a envoyé des soldats
cubains sur les différents fronts (Kibamba, Front de Force-la centrale électrique de
Bendera, Fizi-Baraka) pour aider à une organisation plus efficace de la rébellion ou en
mission exploratoires.
Les nouvelles de létranger ne sont pas
bonnes. Les dissension au sein de létat-major de la rébellion congolaise se font
chaque jour de plus en plus évidentes.
Enfin, Mitoudidi arrive sur le front. Léonard
Mitoudidi qui avait lutté sur un autre front aux côtés de Pierre Mulele sera peut-être
celui en qui le Che mettra le plus despoir pour aider à la réorganisation de la
rébellion. Il réorganise le camp de base de Kibamba en exigeant plus de discipline, en
interdisant lalcool et en supprimant la distribution à tort et à travers des armes
et des munitions. Il se noiera en traversant le lac quelques jours plus tard
Le Che
écrit dans son journal : " Cest ainsi, bêtement, quest
mort lhomme qui avait commencé à mettre de lordre dans le terrible chaos
quétait la base de Kibamba. [
] En réalité, la seule personne qui avait de
lautorité avait disparu dans le lac. "
Le constat par le Che de ses premières semaines
au Congo est amer : selon lui, il manque " un commandement central
unique " et des " cadres dun niveau culturel approprié
et dune fidélité absolue à la cause de la Révolution ", de plus
les armes lourdes sont trop dispersées, il ny a pas de discipline dans les unités
qui " manquent totalement dentraînement ".
Cubains et Rwandais à " Front
de Force "
Ernesto Guevara fait également la connaissance du
commandant rwandais Mundandi qui est détaché à Front de Force. Voici comment le Che le
décrit : " Mundandi, le commandant rwandais de Front de Force, avait
étudié en Chine et donnait une impression assez agréable de sérieux et de fermeté,
mais lors de notre première conversation, il ma raconté que pendant une bataille
ils avaient infligé trente-cinq pertes à lennemi.[
] Je lui ai simplement dit
que cétait un mensonge. [
] Lincident a été clos. "
Les deux hommes étudient ensemble un plan
dattaque de la centrale électrique située sur le fleuve Kimbi.
William Galvez, écrit dans son livre
" Le rêve africain du Che " : " Etrangement, le
Che ne sest pas rendu compte que [
] les forces engagées les plus nombreuses
sont celles des internationalistes rwandais et cubains ; les dirigeants congolais ne
risquent pas leurs hommes dans ce combat ".
Le 23 juin, un petit groupe de Cubains se joint
aux combattants rwandais présents à Front de Force. Les trois jours suivants seront
consacrés à la préparation de lattaque (nettoyage des armes, préparation des
Rwandais). Quelques jours plus tard, Rwandais et Cubains se déploient sur le terrain.
Lattaque commence vers cinq heures le matin du 29. Tout semble bien organisé. Des
embuscades sont tendues sur les différents accès menant à la centrale et quelques
pièces dartillerie sont disposées autour de la petite garnison composée de
soldats congolais et de mercenaires.
Un groupe cubano-rwandais conduit par le Cubain
Martin Chibas (Ishrini) attaque la pompe qui amène leau aux turbines protégée par
un nid de mitrailleuses.
Un autre groupe mené par le lieutenant cubain
Israël Reyes Zayas (Azi) qui mourra en Bolivie avec le Che, traverse le fleuve Kimbi afin
dattaquer les positions fortifiées et prendre laéroport. Azi écrit dans son
rapport : " Les quarante-neuf Rwandais et les cinq Cubains traversent
le fleuve. [
] A cinq heures [
] on tire au canon, aux mortiers, avec les
mitrailleuses [
] nous tirons à feu continu contre linfanterie. Toutes les
armes atteignent leur cible ; le feu est ininterrompu jusquà six heures.
[
] Je me déplace un peu et je remarque que de nombreux Rwandais ne sont plus là. A
dix heures, il me reste quatre Rwandais, dont un officier. " Le lieutenant
Azi reçoit lordre de se replier le 30 juin à six heures du matin.
Un troisième, enfin, conduit par Norberto Pio
Pichardo (Inne), armé dun canon de 75 doit empêcher tout mouvement de troupes à
partir de Lulimba. Cest pour ce groupe un fiasco total. Quatre Cubains dont Inne et
quatorze Rwandais au moins, dont le frère de Mundandi sont tués par un déluge
dartillerie.
Echec double et moral bas
Cette opération est donc un échec. La centrale
na pas été prise et les pertes sont nombreuses. De plus, une autre attaque était
prévue au même moment contre la caserne de Katenga, par une troupe composée Congolais
et de Cubains. Celle-ci est également un échec et le Che écrit dans son journal :
" Sur les cent soixante hommes, soixante ont déserté avant que ne
commencent les opérations et beaucoup plus encore ne tireront pas une seule fois. A
lheure convenue, les Congolais font feu contre la caserne, mais il tirent quasi tout
le temps en lair car la majorité dentre eux pousse sur la gâchette [
]
en fermant les yeux. Dans un premier temps, on attribue la déroute à
linefficacité du sorcier et au fait quil leur a administré une mauvaise
dawa. [
] Cette double attaque [de Front de Force et Katenga] provoque un grand
découragement parmi les Congolais et les Rwandais. Même les Cubains sont abattus.
[
] Mundandi avoue être totalement découragé. Jai dû lui envoyer une
réponse remplie de conseils pour essayer de lui remonter le moral. Ces lettres ne sont
que le signe avant-coureur de la décomposition qui sétendra à toute lArmée
de Libération et touchera les troupes cubaines. "
Alors que Kabila annonce à plusieurs reprises
pour le début de juillet sa venue à Kibamba et quil ne vient pas, Mundandi écrit
de nombreuses lettres à Tatu dans lesquelles il se plaint de perdre ses combattants au
Congo et quil ne lui en reste plus pour aller se battre au Rwanda, projet quil
a en tête et quil confie au Che. Lorsque le commandant cubain lui demande de
retourner à Front de Force pour récupérer les blessés, les Rwandais refusent et
Mundandi explique au Che que " cest une question de politique ;
[mes] hommes refusent dagir parce quils sont découragés par le peu de
coopération congolaise ".
La fracture entre Congolais et Rwandais
sélargit chaque jour davantage et Ernesto Guevara écrit : " La
situation des Rwandais est très étrange ; dune part, on (les Cubains) leur
donne des marques de confiance et destime plus grandes quaux Congolais, de
lautre, on les rend responsables de lensemble du désastre. Les deux clans [se
font] une guerre dinsultes incroyable. Dommage quils ne réservent pas leur
énergie pour les utiliser contre lennemi. "
Mais pour le Che, le plus inquiétant est la
baisse du moral des combattants cubains dont quelques-uns réclament de rentrer à Cuba.
Kabila arrive enfin
Le 7 juillet, Kabila accompagné de Massengo
arrive enfin à Kibamba et rencontre le Che qui lui fait part de son désir daller
lui-même sur le front. Les impressions du Che quant à celui qui deviendra le personnage
que lon connaît actuellement sont contradictoires. Heureux de pouvoir enfin faire
part de ses plans à un dirigeant congolais, Guevara trouve Kabila " cordial,
mais fuyant. [
] Kabila a montré quil connaissait la mentalité de ses
hommes ; vif et agréable [
] Il a fait parler les paysans, a donné des
réponses rapides qui satisfaisaient les gens. [
] Il déployait une intense
activité, il avait lair de vouloir regagner le temps perdu . Il a proposé
dorganiser la défense de la base, et il semblai redonner du courage à tout le
monde. "
Seulement, cela ne va pas durer. Cinq jours plus
tard, Kabila annonce au Che quil doit repartir pour Kigoma rencontrer Soumaliot pour
régler certains problèmes et que cela ne durera quune journée. Le capitaine
cubain Roberto Sanchez (Changa), responsable de la navigation sur le lac Tanganyika, se
posera cette question sur Kabila : " Pour que cet homme ait emmené
tant de bouteilles de whisky avec lui, cest évident quil est parti pour cinq
jours ! "
En fait Soumaliot est à Dar Es
Salaam, Kabila a laissé échapper cette nouvelle dans la conversation. Guevara commence
à avoir des doutes sur le dirigeant congolais : " Quand nous avons
appris la nouvelle du départ de Kabila, les Congolais et les Cubains ont une fois de plus
cédé au découragement ". Le Che va tenter de faire part de ses doutes au
Congolais. Il écrit dans son journal : " Kabila est discrédité,
cette situation sera insurmontable sil ne revient pas immédiatement. Nous avons une
dernière conversation au cours de laquelle je fais allusion à ce problème , le
plus délicatement possible ; nous échangeons encore quelques propos et il me
demande, en biaisant comme dhabitude, quelle serait ma position en cas de scission.
Je lui réponds que je ne suis pas venu au Congo pour intervenir dans leurs affaires de
politique interne, que ce serait une mauvaise chose, mais que jai été envoyé ici
par le gouvernement [cubain] et que nous essaierons dêtre loyaux envers lui et le
Congo. Jajoute que si jai des doutes à propos de sa position politique, je
lui en parlerai franchement, à lui dabord et à personne dautre ; mais
jinsiste sur le fait que la guerre se gagne sur le champ de bataille et non dans des
conciliabules. "
Kabila repart donc pour la Tanzanie et la base
retrouve le rythme habituel, mélange de déseuvrement et de semi léthargie.
Le Che se déplace sur les différents
fronts
Le commandant Guevara a enfin le feu vert pour se
rendre sur les différents théâtres des opérations. Ce quil voit lui confirme ses
craintes. Le manque dorganisation et de coordination entre les différents groupes
est flagrant.
Le 23 juillet, une embuscade est tendue sur la
route de Front de Force contre un convoi de camions de transport de larmée
congolaise par un groupe de vingt-cinq Cubains et vingt-cinq Rwandais. Le succès est
facile, mais les camions contenaient
des vivres, des cigarettes, des caisses de
bouteilles de bière et de whisky. Mais " en quelques heures, les
combattants sont tous ivres sous le regard sombre de nos hommes qui, eux, nont pas
la permission de boire. [
] Sur le chemin du retour, le capitaine [rwandais]
Zakarias, ivre, heurte un paysan et le tue dun coup de fusil en le traitant
despion ", raconte le Che.
Il analyse cette " victoire "
mais se pose des questions : " Cette première victoire aurait pu
radoucir quelque peu lamertume laissée par les premières opérations. Mais la
quantité de questions à se poser est telle que je commence à revoir mes
prévisions ; cinq ans pour mener la révolution congolaise à son terme est très
optimiste, il faut tabler sur le développement de ces groupes armés avant den
faire une armée de libération digne de ce nom, à moins que les choses changent au
niveau de la direction de la guerre, ce qui semble chaque jour plus lointain ".
Le guérillero est on ne peut plus lucide. Les
trois mois restants seront à lavenant et aux problèmes rencontrés sur le terrain
sajouteront des facteurs externes au sein de la direction (des directions, devrait
on dire
) de la rébellion congolaise.
Si la guérilla rencontre quelques succès sur le
terrain (embuscades à Front de Force, à Katenga
), ceux-ci resteront mineurs et ne
serviront pas de " ciment révolutionnaire " entre les
différents groupes rebelles comme lescompte le Che qui note également
linexistence de services secrets alors que larmée gouvernementale congolaise
semble disposer de tous les renseignements quelle désire sur les activités de la
rébellion.
Luttes intestines
La direction du mouvement révolutionnaire
congolais est en proie à des querelles de personnes entre les dirigeants. Entre
Soumaliot, Massengo, Kabila, Gbenye, les divergences sont chaque jour de plus en plus
importantes.
Début septembre, le Che reçoit une lettre de
Massengo qui accuse Gbenye : " Pour maintenir le colonialisme au Congo,
les impérialistes ont promis à Gbenye de lui laisser la liberté de constituer un
gouvernement sil arrivait à enterrer la Révolution et à regrouper [
] tous
les agents de limpérialisme. Gbenye a profité de la réunion des chefs
détat de lAfrique de lEst (Tanzanie, Ouganda, Kenya) pour leur
déclarer que nous devons résoudre nous-même nos problèmes avec Léopoldville et leur
promettre de constituer une fédération avec leurs états après la réconciliation ".
Après la lecture de cette lettre, le Che doute de
la véracité des écrits de Massengo. De plus, il apprend régulièrement par
lambassadeur Pablo Rivalta que de nombreux dirigeants congolais se rendent tour à
tour à la Havane ou à Pékin pour réclamer des armes, des entraînements, du
matériel
Guevara naime pas beaucoup ce défilé dont les participants
masquent la réalité de la situation sur le terrain en faisant plus que lenjoliver,
en faisant état de victoires écrasantes sur les forces impérialistes.
Pour Guevara qui a en horreur le mensonge et qui
lutte pour former un noyau solide de " lArmée de Libération ",
cest un non-sens et une absurdité qui ne peut mettre quen péril les maigres
résultats de son travail.
Contre-offensive gouvernementale
Vers la fin du mois de septembre, le gouvernement
congolais lance une contre-offensive à la fois militaire et politique. Les avions
envoyés dans lest du pays servent à la fois à repérer ou à combattre la
guérilla, mais aussi à " bombarder " de tracts la population. Ces
instruments de propagande reprennent des photos (floues) de morts et de blessés
attribués aux guérilleros, accusent Cuba et la Chine de senrichir en pillant les
richesses du Congo et promettent la vie sauve et la liberté à tout porteur de ces tracts
qui se rendrait à larmée de Tschombe.
Le 29 ou 30 septembre, les mercenaires prennent
Baraka puis Fizi aux alentours du 15 octobre. Lubondja, Lulimba, Front de Force, Kabimba
vont également tomber tour à tour au cours de ce mois.
A cela, sajoute un facteur nouveau. Le 13
octobre, Kasavubu décrète à Léopoldville la fin du " mandat
transitoire " de Tschombe. Evariste Kimba est chargé de former un gouvernement
de réconciliation nationale. Pour beaucoup dhommes entrés dans les forces
révolutionnaires, la lutte ne se justifie plus, ceux-ci se battant contre celui que
lon peut considérer comme lassassin de Patrice Lumumba.
La lettre dadieux du Che à Fidel
Cest également au cours de ce mois
doctobre que le Che se voit infliger ce quavec du recul on peut considérer
comme un coup de poignard dans le dos par Fidel Castro. Suite aux rumeurs incessantes
lancées entre autre par la CIA, (le Che serait fou ou bien il aurait été tué par Fidel
lors dune altercation entre les deux hommes, etc.) le " lider
maximo " rend publique au cours du premier comité central Parti Communiste
Cubain la lettre dadieu quErnesto Guevara lui avait remise avant son départ.
Cette lettre avait été écrite par lArgentin afin de dégager Cuba de toute
responsabilité sil était tué ou fait prisonnier. Dans cette lettre, le Che écrit
notamment quil renonce officiellement à toutes ses responsabilités à Cuba
(à la direction du parti, à son poste de ministre, à sa nationalité cubaine même).
" Dautres terres du monde
réclament le concours de mes modestes efforts. [
] Je quitte un peuple qui ma
adopté comme un fils ; une part de mon esprit en est déchirée. Sur les nouveaux
champs de bataille je porterai [
] lesprit révolutionnaire de mon peuple, la
sensation de remplir le plus sacré des devoirs : lutter contre limpérialisme
où quil se trouve. [
] Je répète que je décharge Cuba de toute
responsabilité, sauf de celle inspirée par son exemple. "
Pour tout le monde, il semble que le Che est donc
mort. En fait, volontairement ou involontairement, Castro interdit à Guevara toute
possibilité de retour dans la vie publique à Cuba. Le Che y retournera, mais
clandestinement.
Dariel Alarcon Ramirez (Benigno, voir note 3),
présent aux côtés du Che lorsquil apprend cette nouvelle par Radio Habana Cuba,
confie à Pierre Kalfon que Guevara réagit en disant que " cette lettre ne
devait être rendue publique quaprès ma mort. Ce nest pas drôle dêtre
enterré vivant . Que ce soit intentionnel ou pas, me voilà écarté de la scène
internationale." Selon Benigno, le Che aurait même lancé cette phrase en
pensant à Castro : " Le culte de la personnalité nest pas mort
avec Staline ! ".
Castro a-t-il voulu se débarrasser politiquement
dun homme plus que populaire à Cuba ? A-t-il voulu donner des gages aux
autorités soviétiques qui naiment plus beaucoup Guevara, notamment depuis le
discours dAlger, ou a-t-il commis une bourde monumentale ?
Toujours est-il que cela na pas dû aider à
remonter le moral déjà bien bas du guérillero.
Retrait des Rwandais et des Cubains
La fin de ce funeste mois doctobre 1965 qui
voit le 28 la disparition à Paris et lassassinat de Mehdi Ben Barka, opposant
progressiste au roi (dictateur) du Maroc Hassan II, voit aussi le début de
loffensive des forces gouvernementales congolaises. La décomposition de
lArmée de Libération du Congo est bien entamée.
Tant sur le plan politique que sur le plan
militaire, Kasavubu a repris lavantage, notamment après la réunion des chefs
détat de lOUA à Accra où a été décidé le départ des forces
étrangères du Congo, quil sagisse des mercenaires pro-gouvernementaux ou des
combattants internationalistes cubains apportant leur aide à la rébellion. Nyerere
lui-même a prié les Cubains de se retirer.
Pourtant, mercenaires et armée gouvernementale
resserrent létau autour des forces de la guérilla.
Le 16 novembre, alors que le plan de retrait des
Cubains est en train de se mettre en place entre la Havane, Dar Es Salaam et Kigoma,
Ernesto Guevara reçoit cette lettre de Mundandi :
" Camarade Tatu,
Concernant la situation qui est très grave,
je vous fait savoir que je suis incapable de maintenir la position et dassurer la
défense. La population nous a déjà trahis, elle a donné les vaches aux soldats ennemis
qui est mieux guidé que nous et a une meilleure information sur notre position. Je vous
prie de me comprendre. Jai décidé de battre en retraite. Je nabandonne pas
les camarades cubains, mais je dois assumer mes responsabilités face au peuple rwandais.
Je ne peux exposer toutes les forces des camarades rwandais à un possible
anéantissement, cela ne serait pas être un bon commandant révolutionnaire. Un
révolutionnaire, marxiste de surcroît, doit analyser la situation et éviter un combat
dusure. Si tous les camarades sont anéantis, cest par ma faute ;
jai voulu aider cette révolution pour en faire une dans notre pays. Si les
Congolais ne luttent pas, je préfère mourir sur notre sol celui destiné au
peuple rwandais. Si nous mourons en chemin, cest bien aussi.
Recevez mes sentiments révolutionnaires,
Mundandi. "
Le départ des combattants rwandais sera effectif
le 18 octobre. La Tanzanie qui vient de bloquer sur son territoire plusieurs convois
darmes et de matériel destinés à la guérilla la lâche également. Massengo
propose également larrêt du combat.
Le Che doit se faire une raison et commencer
lévacuation des Cubains. Pour sa part, il songe à rejoindre un autre front, celui
de Mulele dans le Kasaï. Il réfléchit toute une nuit et finalement prend la décision
de se retirer. " Ma troupe (cubaine) était un conglomérat hétérogène.
Daprès mon enquête, je pouvais en extraire jusquà vingt hommes qu me
suivraient, bien que, désormais sans enthousiasme. Et après quest-ce que je
ferais ? Tous les chefs se retiraient, les paysans affichaient de plus en plus
dhostilité envers nous. Mais lidée de quitter complètement les lieux et de
nous en aller comme nous étions venus [
] métait profondément douloureuse.
[
] En réalité, lidée de rester au Congo ma poursuivi jusquaux
heures tardives de la nuit. " Lévacuation est donc décidée.
Une évacuation peu glorieuse
Alors que les forces gouvernementales et les
mercenaires poussent de plus en plus, les Cubains embarquent à laube du 21 novembre
pour Kigoma. Ils emmènent avec eux six ou sept Congolais et Rwandais qui se sont montrés
courageux pendant la guérilla ainsi que Massengo et Tchamlesso. Cest pour Guevara
un " spectacle douloureux, lamentable, bruyant et sans gloire ". Trois
Cubains sont restés et seront évacués plus tard.
Et ensuite ?
Les combattants cubains évacués rentreront à
Cuba ou iront aider les mouvements de libération des anciennes colonies portugaises
(Angola, Mozambique, Guinée-Bissau).
Le Che passera quatre mois à Dar Es Salaam dans
lambassade de Cuba, clandestinement. Cest au cours de ces quatre mois
quil retravaillera à son journal et à lanalyse de
" léchec " congolais. Forcé à la clandestinité depuis que sa
lettre dadieux à Castro a été rendue publique, il passera quatre autres mois à
Prague avant de rentrer secrètement à Cuba.
Cest aussi au cours de cette année que
lengagement " communiste " (soviétique et cubain) en Afrique
débutera réellement. En Ethiopie, en Angola, au Mozambique, au Zimbabwe
pour ne
cesser quavec la chute de lempire soviétique.
Quen reste-t-il aujourdhui ? Pas
grand chose serait-on tenté de dire. Pourtant laide cubaine en Angola réussira à
stopper lAfrique du Sud de lapartheid et lUNITA de Savimbi. Les colonies
portugaises accéderont à leur tour à une tardive indépendance. Les régimes
prétendument marxistes dAfrique séteindront à leur tour, non sans avoir
laissé derrière eux les morts de milliers dopposants et des exemples de culte de
la personnalité dont Eyadema, Mengistu ou Kabila en sont de parfaits exemples.
Kabila, lui, remplacera Mobutu à son poste et
continue aujourdhui la politique de son prédécesseur : corruption,
népotisme, aide aux génocidaires rwandais
Il est aidé dans son ignominieuse
politique par des dirigeants se réclamant du marxisme comme ceux de lAngola ou du
Zimbabwe
Quant au Che, poursuivant une sorte de fuite en
avant, il restera dans la clandestinité jusquà son assassinat le 9 octobre 1967
dans la petite école de la Higuera, en Bolivie. Son aventure bolivienne seffectuera
dans des conditions bien pire que celles du Congo et à la lecture de son
" Journal de Bolivie ", on ne peut sempêcher de penser à une
sorte de suicide conscient.
Pour finir, voici ce que le Che écrivit en
conclusion à lépisode congolais de sa vie : " Durant ces
dernières heures au Congo, je me suis senti seul comme jamais je ne lavais été,
ni à Cuba, ni nulle part ailleurs tout au long de mon errance à travers le monde. Je
pourrais dire : jamais comme aujourdhui je navais à ce point ressenti
combien mon chemin était solitaire. "