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Documents : histoire et géographie


Che Guevara est lui aussi africain

Le Che au Congo en 1965 (par Jean-Luc Chavanieux)

Cet article a été publié dans le N°44 de septembre-octobre 1999 de Rwanda-Libération (mensuel indépendant publié à Kigali)

"Che Guevara, argentin de par son passeport, est devenu cubain d’adoption par le sang et la sueur qu’il a versés pour le peuple cubain. Et surtout, il est citoyen du monde libre, le monde libre qui est ce monde qu’ensemble nous sommes en train de bâtir. C’est pourquoi nous disons que Che Guevara est lui aussi africain […] . Che Guevara appelait son béret la boïna. Un peu partout en Afrique, il a fait connaître ce béret et cette étoile. Du Nord au Sud, l’Afrique se souvient de Che Guevara. " (Thomas Sankara, 8 octobre 1987, Ouagadougou, une semaine avant sa mort durant le coup d’état.)

Près de trente ans après la mort du " Che ", les autorités cubaines rendirent public ce qui manquait dans la biographie du " guerillero heroico ", soit un point d’interrogation marquant l’année 1965, même si, en Afrique notamment, des vétérans des luttes passées étaient au courant.

Le Che était alors au Congo Léopoldville en tant que combattant internationaliste pour soutenir le mouvement révolutionnaire congolais dans sa lutte contre le gouvernement de Moïse Tschombe, soutenu par les puissances occidentales et des mercenaires blancs belges, français, américains, rhodésiens, belges, britanniques, etc.. Que s’est-il passé pendant ces quelques mois de présence du Che sur le sol africain ? Comment a-t-il vécu sa lutte contre le néo-colonialisme de l’époque ? Quelles furent ses relations avec les combattants congolais, mais aussi rwandais qui luttèrent à ses côtés ?

Essayons de lever quelque peu le voile sur cette année 1965 qui vit, outre le fait que le Che combattit sur le sol africain, sous d’autres latitudes les morts violentes (assassinats) de Mehdi Ben Barka et de Malcolm X…

 

L’Afrique, une préoccupation du Che Guevara…

Le premier avril 1965, l’aube se lève sur Cuba. Ernesto Guevara, accompagné de deux révolutionnaires cubains affirmés (Victor Dreke et José Martinez Tamayo) monte dans un avion de la Cubana (lignes aériennes cubaines) en partance pour Moscou. Après un long périple passant par diverses capitales d’Europe de l’Est, Alger, Le Caire et Nairobi, les trois hommes atterrissent incognito à Dar Es-Salaam. Leur présence est tenue secrète et le Che a été grimé, maquillé par les services secrets cubains, et voyage sous une fausse identité, évidemment. Même ses anciens camarades de lutte à Cuba ne l’ont reconnu sous ce déguisement.

Le Che compte quelques atouts : son intérêt pour l’Afrique dont nombre de pays luttent alors contre les puissances néo-colonialistes et sa connaissance du français – parlé et écrit – qui lui servira et le rendra incontournable dans sa nouvelle lutte mais surtout son expérience de la guerre de guérilla.

Si le Président Nyerere a donné son accord à une participation cubaine et à l’utilisation de son territoire par les Cubains pour aider la lutte en cours au Congo, pour acheminer combattants, armes, vivres, matériels divers, il n’est pas au courant de la présence du Commandant Guevara. L’ambassadeur cubain à Dar Es Salaam, Pablo Rivalta, met tout ce qu’il peut en œuvre pour tenir secrète la présence du révolutionnaire d’origine argentine.

Cette présence sur le territoire congolais durera jusqu’au 21 novembre. Dans le projet de livre intitulé " Passages de la guerre révolutionnaire. Congo " que le Che avait rédigé, le révolutionnaire a fait preuve de lucidité et d’autocritique ; en voici les premières lignes :

Cette histoire est celle d’un échec. Elle va jusqu’au détail anecdotique correspondant à des épisodes de la guerre, mais elle est nuancée d’observation et d’esprit critiques car j’estime que si le récit peut avoir une certaine importance, ce serait de permettre d’en extraire une série d’expériences utiles pour d’autres mouvements révolutionnaires. La victoire est une grande source d’expériences positives, mais la défaite l’est aussi et plus encore, selon moi, lorsque, comme c’est le cas ici, les acteurs et les informateurs sont des étrangers partis risquer leur vie dans un pays inconnu, où on parle une autre langue et auquel ils sont unis uniquement par les liens de l’internationalisme prolétarien. […] Cette histoire est plus exactement celle d’une décomposition. "

Mais avant d’en arriver à ce constat, quelle fut l’implication du Che dans les luttes de libération africaines ?

L’assassinat de Lumumba, un traumatisme du Che…

Avant de poser son pied au Congo (Léopoldville), le Che a fait preuve de solidarité envers l’Afrique en lutte contre le colonialisme et le néo-colonialisme de l’époque. De nombreux discours et écrits en témoignent.

Le plus marquant est certainement un discours fait en face de l’assemblée générale des Nations Unies, 11 décembre 1964 où il dit notamment : " Les peuples d’Afrique sont forcés de supporter que soit encore officialisée sur ce continent la supériorité d’une race sur l’autre et qu’on assassine impunément au nom de cette supériorité. Les Nations Unies ne feront-elles rien pour l’empêcher ? Je voudrais parler plus particulièrement du cas douloureux du Congo, cas unique dans l’histoire du monde, qui montre comment on peut léser le droit des peuples avec l’impunité la plus absolue, le cynisme le plus insolent. Les immenses richesses que possède le Congo et que les nations impérialistes veulent conserver sous leur contrôle en sont les motifs directs. […] mais la philosophie du pillage n’a pas cessé. Elle reste même plus forte que jamais et c’est pour cela que les mêmes qui ont utilisé le nom des Nations Unies pour perpétrer l’assassinat de Lumumba assassinent au nom de la race blanche des milliers de Congolais. Comment pouvons-nous oublier la façon dont a été trahi l’espoir qu’avait mis Patrice Lumumba dans les Nations Unies ? […] Il faut venger le crime du Congo. […] Un animal carnassier qui se nourrit des peuples sans défense, […] voilà ce qui caractérise le " blanc " de l’empire. "

C’est d’ailleurs au cours de ce séjour à New York qu’il s’entretient avec Malcolm X et qu’in extremis il renonce à participer pour des raisons évidentes de sécurité à un meeting en compagnie du leader noir américain à Harlem. Il écrit alors un message qui sera lu lors de cette réunion par Malcolm X. Les relations entre les deux hommes se font par l’intermédiaire de Babu, révolutionnaire de Zanzibar et ministre tanzanien qui devra plus tard s’exiler selon le bon vouloir de Nyerere.

Selon Pierre Kalfon, auteur de la meilleure biographie du guerillero, au cours de ce séjour " Malcolm X a parlé au Che de son projet de monter une brigade de volontaires noirs afro-américains pour porter secours aux Congolais. " Avec le recul, il apparaît plus que vraisemblable que les contacts entre les deux révolutionnaires feront peur aux autorités américaines et que le FBI de John Edgar Hoover décidera alors de la mort de Malcolm X deux mois plus tard…

Différents contacts sont pris…

Au delà des mots, sont les actes. Lorsque le Che décide d’apporter son concours aux " autres terres du monde qui réclament la contribution de [ses] modestes efforts " comme il l’écrit dans sa lettre à Fidel Castro dont nous reparlerons plus loin, il a déjà pris de nombreux contacts avec des dirigeants progressistes africains et a effectué plusieurs voyages dans différents pays du continent.

Ainsi, de décembre 1964 à février 1965, Ernesto Guevara fait une " tournée africaine " qui le conduit en Algérie (plusieurs fois), au Mali, au Congo-Brazzaville, en Guinée-Conakry, au Ghana, au Dahomey et en Tanzanie, hormis une parenthèse qui le conduit en Chine au début du mois de février et enfin en Egypte. Outre Ahmed Ben Bella, Modibo Keita, Alphonse Massemba-Debat, Sekou Touré, Kwame Nkrumah, Julius Nyerere et Nasser, présidents respectifs de ces pays, il met à profit son voyage pour rencontrer différents dirigeants révolutionnaires du continent. C’est ainsi qu’il rencontre, par exemple, Amilcar Cabral à Conakry, Samora Machel, Marcelino Dos Santos, Agostinho Neto à Brazzaville, mais aussi quelques-uns des dirigeants du mouvement révolutionnaire congolais (Soumaliot, Kabila, Mujumba et Tchamlesso) à Dar Es Salaam.

A peine deux mois plus tard, le Che retournera donc, incognito cette fois, dans la capitale tanzanienne.

Ces rencontres dans la capitale tanzanienne lui vaudront d’écrire quelques notes qui s’avéreront prémonitoires quant à la suite : " La visite à Dar Es Salaam s’est révélée particulièrement instructive. Une quantité considérable de Freedom Fighters y résident qui, dans leur majorité, vivent commodément installés dans des hôtels et ont fait de leur situation une véritable profession, une occupation parfois lucrative et presque toujours aisée. […] Ils ont généralement sollicité un entraînement à Cuba et une aide financière ; c’était leur leitmotiv à presque tous. "

Le " discours d’Alger "

C’est également au cours de ce voyage qu’il prononce le fameux " discours d’Alger " qui lui vaudra certainement d’être " sacrifié " dans la jungle bolivienne sur l’autel des relations entre Cuba et l’URSS. Le discours prononcé par le Che est une véritable plaidoirie pour le Tiers-Monde et sa liberté. En effet, le Che ne mâche pas ses mots et fustige l’attitude des pays d’Europe de l’est. Voici quelques fragments de ce discours historique qui peut-être scellera le destin du Che, dont sa mort en Bolivie : " La pratique de l’internationalisme prolétarien n’est pas seulement un devoir pour les peuples qui luttent pour un avenir meilleur ; c’est aussi une nécessité inéluctable. […] Nous devons tirer une conclusion de tout cela : le développement des pays qui s’engagent sur la voie de la libération doit être payé par les pays socialistes. […] Nous croyons que c’est dans cet esprit que doit être prise la responsabilité d’aider les pays dépendants et qu’il ne doit plus être question de développer un commerce pour le bénéfice mutuel sur la base de prix truqués aux dépens des pays sous-développés par la loi de la valeur. […] Nous devons convenir que les pays socialistes sont, dans une certaine mesure, complices de l’exploitation impérialiste. […] On alléguera que le volume des échanges avec les pays sous-développés constitue un pourcentage insignifiant du commerce extérieur de ces pays [socialistes d’Europe de l’Est]. C’est absolument vrai mais cela ne change rien au caractère immoral de cet échange. Les pays socialistes ont le devoir moral de liquider leur complicité tacite avec les pays exploiteurs de l’Ouest. "

Ce discours renvoyant dos à dos pays socialistes d’Europe de l’Est et pays impérialistes ne laissera pas indifférentes les autorités soviétiques qui accuseront le Che de " déviance idéologique "…

Il est clair aujourd’hui que ce que l’on pourrait qualifier de pensée guevariste ou de " guevarisme " fut davantage tourné vers le Tiers-Monde que vers l’idéologie communiste orthodoxe, ce modèle du " grand frère " soviétique étant devenu caduc aux yeux et à la pensée de Guevara après sa tournée africaine. Le Che prend à ce moment conscience que la lutte pour l’indépendance totale du continent africain (mais aussi de l’Amérique du Sud ou de l’Asie) est à l’avant-garde du combat contre l’impérialisme, ou plutôt contre les impérialismes…

Quelques jours plus tard, Ernesto Guevara rencontre à nouveau Nasser au Caire. Il lui fait part de son projet d’aller aider le mouvement révolutionnaire congolais. Le Raïs lui, fait part de ses doutes au commandant cubain : " Vous m’étonnez beaucoup. Voulez-vous devenir un nouveau Tarzan, un Blanc venu parmi les Noirs pour les guider et les protéger ? […] Cela ne réussira pas. En tant que Blanc, vous serez aisément repéré […] et vous fournirez aux impérialistes l’occasion de dire qu’il n’y a pas de différence entre vous et les mercenaires. "Le Che grimé avant son départ pour le Congo

Arrivée en Tanzanie et départ pour Kigoma

Le Che Guevara arrive en Tanzanie le 11 avril. Cuba a envoyé par ce pays au Congo des combattants cubains noirs qui le rejoignent petit à petit et s’entassent dans l’ambassade cubaine de Dar Es Salaam avant de rejoindre le Congo. Armé d’un dictionnaire de français-kiswahili, le Che devient " Tatu ", Léonard Dreke est " Moja ", et José Martinez Tamayo est baptisé " Mbili ", pourtant, le vrai " numéro un " est bien le Che. Tous les Cubains se verront par la suite baptisés d’un nom de guerre en kiswahili.

Le 20 avril , un premier groupe de quatorze Cubains, dont le Che, part de Dar Es Salaam pour le Congo accompagné de deux chauffeurs, de Tchamlesso et d’un policier tanzanien pour passer plus facilement les road-blocks. Le voyage est long de près de 1800 km. Le 22 avril, le petit groupe arrive à Kigoma, sur le Lac Tanganyika.

Le Che écrit dans son journal que " La ville est un endroit calme où les infortunés peuvent vivre en marge des hasards de la lutte. La Direction révolutionnaire ne tiendra jamais assez compte du rôle de Kigoma avec ses bordels, ses débits d’alcool et surtout le fait qu’elle est un lieu incontestable de refuge. "

Le Che Guevara face à la Réalité congolaise…

Lorsque le Che arrive en Tanzanie le 11 avril , son optimisme est justifié. Cuba a envoyé par ce pays au Congo des combattants cubains noirs pour, d’une part " tromper l’ennemi " ; d’autre part, sensibiliser ces combattants à une lutte qui doit les interpeller par " solidarité internationaliste ", l’Afrique étant leur continent d’origine. Le Che est alors le seul Blanc prenant part à cette lutte. Pour masquer son identité -et son importance- tout est fait pour le rendre invisible aux yeux et oreilles des services secrets impérialistes. Arrivé en Tanzanie, le Che devient " Tatu.

Après une nuit passée à la résidence du gouverneur de Kigoma, c’est enfin la traversée du Lac Tanganyika pour Kibamba, au Congo. Celle-ci est périlleuse, le vent s’est mis à souffler et les barques empruntées par 13 combattants cubains et le Che sont en mauvais état. Arrivé à Kibamba, le Che note que parmi les combattants congolais " à côté de gens très peu préparés, sans doute des paysans, on en remarque d’autres plus cultivés, vêtus autrement, connaissant mieux le français ; entre les deux groupes, il y a une distance nette. ". Un des soldats cubains présents (Emilio Mena) note également : " Nous ressentons une froideur […] et nous nous demandons : serait-ce parce qu’il y a des Blancs parmi nous ? Ou le fait même de la présence de tous ces étrangers que nous sommes ? ".

 

Sur la route en TanzaniePendant les premiers jours, Ernesto Guevara se heurte à la réalité congolaise. Il découvre qu’entre les combattants congolais et leur état-major ou leurs dirigeants, existe une certaine hostilité. En effets, les dirigeants passent surtout leur temps à Kigoma ou Dar Es Salaam et sont donc coupés de leurs hommes qui sur le front ne vivent pas aussi confortablement. De plus, les visites promises par Kabila ne sont pas souvent suivies d’effet. La nourriture est peu abondante et les Cubains découvrent le " bucali " (ugali) et le " zombe " (isombe).

Mais ce qui préoccupe le plus le Che est la pratique de la " dawa ", un jus élaboré par un " muganga " à partir de différentes plantes et qui protège contre les balles ennemies celui qui en est aspergé. " J’ai toujours craint que cette superstition ne se retourne contre nous et qu’on nous rende responsables de l’échec d’un combat où il y aurait beaucoup de morts, écrit-il, Aussi, je cherche à en parler avec différents responsables dans le but d’essayer de les convaincre de laisser tomber cette pratique. Impossible, c’est une véritable profession de foi ".

Les jours passent. En attendant l’arrivée de Kabila, le Che, qui a ordre de ne pas bouger avant de le rencontrer, organise la vie à la base de Kibamba, instaurant formations militaires pour les Congolais et cours de français ou de kiswahili pour les Cubains, construisant des salles de classes et un hôpital rudimentaires.

Tchamlesso se rend à Dar Es Salaam pour informer Kabila de l’arrivée des Cubain et de la présence du Che. Il racontera plus tard : " Je suis parti à Dar Es Salaam et j’ai parlé à Kabila. Il s’est effrayé, comme moi. Tout le monde s’est effrayé. […] Donc, il est saisi, mais il accepte le défi et demande qu’on se taise, qu’on ne dise rien aux Tanzaniens. "

Pour tuer le temps, le Che redevient médecin et commence à soigner villageois et combattants congolais. Il se rend compte que parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui sont atteints de maladies vénériennes contractées dans les maisons closes de Kigoma. Il soigne aussi beaucoup d’intoxications dues au " pombe " mal préparé. Les villageois avec qui le Che réussit à établir de bons contacts lui donneront le surnom de " Tatu Muganga ".

Alors que Raul Castro, Ministre de la Défense de Cuba (et frère de Fidel) envoie un deuxième groupe d’une centaine de soldats cubains au Congo, le Che en apprend tous les jours sur le terrain et découvre les Rwandais habitant au Congo et éleveurs. "Cette communauté nous permettait d’avoir recours à la précieuse viande de bœuf qui soigne tout, même la nostalgie ", écrit Guevara dans son journal.

Le Che découvrira également qu’il existe de nombreuses dissensions entre combattants Rwandais et Congolais, ce qui ne facilitera pas la lutte…

Le 2 mai, le Che apprend l’arrivée d’un second groupe de 18 Cubains et, à sa grande surprise, rencontre Osmany Cienfuegos. Osmany apprend au Che le décès de sa mère qu’il savait malade. Il écrira : " En ce qui me concerne personnellement, Osmany m’annonce la nouvelle la plus triste de la guerre ".

Les guerilleros cubains arriveront ensuite de façon échelonnée, ce qui fera monter leurs effectifs à un peu plus de 120 hommes.

La démoralisation guette…

Le commandant Ernesto Guevara et les militaires cubains vont sombrer peu à peu dans une routine démoralisatrice. Kabila, plusieurs fois annoncé ne vient toujours pas rencontrer le Che sur le front, ce qui paralyse toute action de combat.

Ce qui pourrait redonner le moral aux guerillero serait des actions contre l’ennemi impérialiste. Le Che a envoyé des soldats cubains sur les différents fronts (Kibamba, Front de Force-la centrale électrique de Bendera, Fizi-Baraka) pour aider à une organisation plus efficace de la rébellion ou en mission exploratoires.

Les nouvelles de l’étranger ne sont pas bonnes. Les dissension au sein de l’état-major de la rébellion congolaise se font chaque jour de plus en plus évidentes.

Enfin, Mitoudidi arrive sur le front. Léonard Mitoudidi qui avait lutté sur un autre front aux côtés de Pierre Mulele sera peut-être celui en qui le Che mettra le plus d’espoir pour aider à la réorganisation de la rébellion. Il réorganise le camp de base de Kibamba en exigeant plus de discipline, en interdisant l’alcool et en supprimant la distribution à tort et à travers des armes et des munitions. Il se noiera en traversant le lac quelques jours plus tard… Le Che écrit dans son journal : " C’est ainsi, bêtement, qu’est mort l’homme qui avait commencé à mettre de l’ordre dans le terrible chaos qu’était la base de Kibamba. […] En réalité, la seule personne qui avait de l’autorité avait disparu dans le lac. "

Le constat par le Che de ses premières semaines au Congo est amer : selon lui, il manque " un commandement central unique " et des " cadres d’un niveau culturel approprié et d’une fidélité absolue à la cause de la Révolution ", de plus les armes lourdes sont trop dispersées, il n’y a pas de discipline dans les unités qui " manquent totalement d’entraînement ".

Cubains et Rwandais à " Front de Force "

Ernesto Guevara fait également la connaissance du commandant rwandais Mundandi qui est détaché à Front de Force. Voici comment le Che le décrit : " Mundandi, le commandant rwandais de Front de Force, avait étudié en Chine et donnait une impression assez agréable de sérieux et de fermeté, mais lors de notre première conversation, il m’a raconté que pendant une bataille ils avaient infligé trente-cinq pertes à l’ennemi.[…] Je lui ai simplement dit que c’était un mensonge. […] L’incident a été clos. "

Les deux hommes étudient ensemble un plan d’attaque de la centrale électrique située sur le fleuve Kimbi.

William Galvez, écrit dans son livre " Le rêve africain du Che " : " Etrangement, le Che ne s’est pas rendu compte que […] les forces engagées les plus nombreuses sont celles des internationalistes rwandais et cubains ; les dirigeants congolais ne risquent pas leurs hommes dans ce combat ".

Le 23 juin, un petit groupe de Cubains se joint aux combattants rwandais présents à Front de Force. Les trois jours suivants seront consacrés à la préparation de l’attaque (nettoyage des armes, préparation des Rwandais). Quelques jours plus tard, Rwandais et Cubains se déploient sur le terrain. L’attaque commence vers cinq heures le matin du 29. Tout semble bien organisé. Des embuscades sont tendues sur les différents accès menant à la centrale et quelques pièces d’artillerie sont disposées autour de la petite garnison composée de soldats congolais et de mercenaires.

Un groupe cubano-rwandais conduit par le Cubain Martin Chibas (Ishrini) attaque la pompe qui amène l’eau aux turbines protégée par un nid de mitrailleuses.

Un autre groupe mené par le lieutenant cubain Israël Reyes Zayas (Azi) qui mourra en Bolivie avec le Che, traverse le fleuve Kimbi afin d’attaquer les positions fortifiées et prendre l’aéroport. Azi écrit dans son rapport : " Les quarante-neuf Rwandais et les cinq Cubains traversent le fleuve. […] A cinq heures […] on tire au canon, aux mortiers, avec les mitrailleuses […] nous tirons à feu continu contre l’infanterie. Toutes les armes atteignent leur cible ; le feu est ininterrompu jusqu’à six heures. […] Je me déplace un peu et je remarque que de nombreux Rwandais ne sont plus là. A dix heures, il me reste quatre Rwandais, dont un officier. " Le lieutenant Azi reçoit l’ordre de se replier le 30 juin à six heures du matin.

Un troisième, enfin, conduit par Norberto Pio Pichardo (Inne), armé d’un canon de 75 doit empêcher tout mouvement de troupes à partir de Lulimba. C’est pour ce groupe un fiasco total. Quatre Cubains dont Inne et quatorze Rwandais au moins, dont le frère de Mundandi sont tués par un déluge d’artillerie.

Echec double et moral bas

Cette opération est donc un échec. La centrale n’a pas été prise et les pertes sont nombreuses. De plus, une autre attaque était prévue au même moment contre la caserne de Katenga, par une troupe composée Congolais et de Cubains. Celle-ci est également un échec et le Che écrit dans son journal : " Sur les cent soixante hommes, soixante ont déserté avant que ne commencent les opérations et beaucoup plus encore ne tireront pas une seule fois. A l’heure convenue, les Congolais font feu contre la caserne, mais il tirent quasi tout le temps en l’air car la majorité d’entre eux pousse sur la gâchette […] en fermant les yeux. Dans un premier temps, on attribue la déroute à l’inefficacité du sorcier et au fait qu’il leur a administré une mauvaise dawa. […] Cette double attaque [de Front de Force et Katenga] provoque un grand découragement parmi les Congolais et les Rwandais. Même les Cubains sont abattus. […] Mundandi avoue être totalement découragé. J’ai dû lui envoyer une réponse remplie de conseils pour essayer de lui remonter le moral. Ces lettres ne sont que le signe avant-coureur de la décomposition qui s’étendra à toute l’Armée de Libération et touchera les troupes cubaines. "

Alors que Kabila annonce à plusieurs reprises pour le début de juillet sa venue à Kibamba et qu’il ne vient pas, Mundandi écrit de nombreuses lettres à Tatu dans lesquelles il se plaint de perdre ses combattants au Congo et qu’il ne lui en reste plus pour aller se battre au Rwanda, projet qu’il a en tête et qu’il confie au Che. Lorsque le commandant cubain lui demande de retourner à Front de Force pour récupérer les blessés, les Rwandais refusent et Mundandi explique au Che que " c’est une question de politique ; [mes] hommes refusent d’agir parce qu’ils sont découragés par le peu de coopération congolaise ".

La fracture entre Congolais et Rwandais s’élargit chaque jour davantage et Ernesto Guevara écrit : " La situation des Rwandais est très étrange ; d’une part, on (les Cubains) leur donne des marques de confiance et d’estime plus grandes qu’aux Congolais, de l’autre, on les rend responsables de l’ensemble du désastre. Les deux clans [se font] une guerre d’insultes incroyable. Dommage qu’ils ne réservent pas leur énergie pour les utiliser contre l’ennemi. "

Mais pour le Che, le plus inquiétant est la baisse du moral des combattants cubains dont quelques-uns réclament de rentrer à Cuba.

Kabila arrive enfin…

Le 7 juillet, Kabila accompagné de Massengo arrive enfin à Kibamba et rencontre le Che qui lui fait part de son désir d’aller lui-même sur le front. Les impressions du Che quant à celui qui deviendra le personnage que l’on connaît actuellement sont contradictoires. Heureux de pouvoir enfin faire part de ses plans à un dirigeant congolais, Guevara trouve Kabila " cordial, mais fuyant. […] Kabila a montré qu’il connaissait la mentalité de ses hommes ; vif et agréable […] Il a fait parler les paysans, a donné des réponses rapides qui satisfaisaient les gens. […] Il déployait une intense activité, il avait l’air de vouloir regagner le temps perdu . Il a proposé d’organiser la défense de la base, et il semblai redonner du courage à tout le monde. "

Seulement, cela ne va pas durer. Cinq jours plus tard, Kabila annonce au Che qu’il doit repartir pour Kigoma rencontrer Soumaliot pour régler certains problèmes et que cela ne durera qu’une journée. Le capitaine cubain Roberto Sanchez (Changa), responsable de la navigation sur le lac Tanganyika, se posera cette question sur Kabila : " Pour que cet homme ait emmené tant de bouteilles de whisky avec lui, c’est évident qu’il est parti pour cinq jours ! "

En fait Soumaliot est à Dar Es Salaam, Kabila a laissé échapper cette nouvelle dans la conversation. Guevara commence à avoir des doutes sur le dirigeant congolais : " Quand nous avons appris la nouvelle du départ de Kabila, les Congolais et les Cubains ont une fois de plus cédé au découragement ". Le Che va tenter de faire part de ses doutes au Congolais. Il écrit dans son journal : " Kabila est discrédité, cette situation sera insurmontable s’il ne revient pas immédiatement. Nous avons une dernière conversation au cours de laquelle je fais allusion à ce problème , le plus délicatement possible ; nous échangeons encore quelques propos et il me demande, en biaisant comme d’habitude, quelle serait ma position en cas de scission. Je lui réponds que je ne suis pas venu au Congo pour intervenir dans leurs affaires de politique interne, que ce serait une mauvaise chose, mais que j’ai été envoyé ici par le gouvernement [cubain] et que nous essaierons d’être loyaux envers lui et le Congo. J’ajoute que si j’ai des doutes à propos de sa position politique, je lui en parlerai franchement, à lui d’abord et à personne d’autre ; mais j’insiste sur le fait que la guerre se gagne sur le champ de bataille et non dans des conciliabules. "Le Che était surnommé Tatu Muganga

Kabila repart donc pour la Tanzanie et la base retrouve le rythme habituel, mélange de désœeuvrement et de semi léthargie.

 

Le Che se déplace sur les différents fronts

Le commandant Guevara a enfin le feu vert pour se rendre sur les différents théâtres des opérations. Ce qu’il voit lui confirme ses craintes. Le manque d’organisation et de coordination entre les différents groupes est flagrant.

Le 23 juillet, une embuscade est tendue sur la route de Front de Force contre un convoi de camions de transport de l’armée congolaise par un groupe de vingt-cinq Cubains et vingt-cinq Rwandais. Le succès est facile, mais les camions contenaient… des vivres, des cigarettes, des caisses de bouteilles de bière et de whisky. Mais " en quelques heures, les combattants sont tous ivres sous le regard sombre de nos hommes qui, eux, n’ont pas la permission de boire. […] Sur le chemin du retour, le capitaine [rwandais] Zakarias, ivre, heurte un paysan et le tue d’un coup de fusil en le traitant d’espion ", raconte le Che.

Il analyse cette " victoire " mais se pose des questions : " Cette première victoire aurait pu radoucir quelque peu l’amertume laissée par les premières opérations. Mais la quantité de questions à se poser est telle que je commence à revoir mes prévisions ; cinq ans pour mener la révolution congolaise à son terme est très optimiste, il faut tabler sur le développement de ces groupes armés avant d’en faire une armée de libération digne de ce nom, à moins que les choses changent au niveau de la direction de la guerre, ce qui semble chaque jour plus lointain ".

Le guérillero est on ne peut plus lucide. Les trois mois restants seront à l’avenant et aux problèmes rencontrés sur le terrain s’ajouteront des facteurs externes au sein de la direction (des directions, devrait on dire…) de la rébellion congolaise.

Si la guérilla rencontre quelques succès sur le terrain (embuscades à Front de Force, à Katenga…), ceux-ci resteront mineurs et ne serviront pas de " ciment révolutionnaire " entre les différents groupes rebelles comme l’escompte le Che qui note également l’inexistence de services secrets alors que l’armée gouvernementale congolaise semble disposer de tous les renseignements qu’elle désire sur les activités de la rébellion.

Luttes intestines

La direction du mouvement révolutionnaire congolais est en proie à des querelles de personnes entre les dirigeants. Entre Soumaliot, Massengo, Kabila, Gbenye, les divergences sont chaque jour de plus en plus importantes.

Début septembre, le Che reçoit une lettre de Massengo qui accuse Gbenye : " Pour maintenir le colonialisme au Congo, les impérialistes ont promis à Gbenye de lui laisser la liberté de constituer un gouvernement s’il arrivait à enterrer la Révolution et à regrouper […] tous les agents de l’impérialisme. Gbenye a profité de la réunion des chefs d’état de l’Afrique de l’Est (Tanzanie, Ouganda, Kenya) pour leur déclarer que nous devons résoudre nous-même nos problèmes avec Léopoldville et leur promettre de constituer une fédération avec leurs états après la réconciliation ".

Après la lecture de cette lettre, le Che doute de la véracité des écrits de Massengo. De plus, il apprend régulièrement par l’ambassadeur Pablo Rivalta que de nombreux dirigeants congolais se rendent tour à tour à la Havane ou à Pékin pour réclamer des armes, des entraînements, du matériel… Guevara n’aime pas beaucoup ce défilé dont les participants masquent la réalité de la situation sur le terrain en faisant plus que l’enjoliver, en faisant état de victoires écrasantes sur les forces impérialistes.

Pour Guevara qui a en horreur le mensonge et qui lutte pour former un noyau solide de " l’Armée de Libération ", c’est un non-sens et une absurdité qui ne peut mettre qu’en péril les maigres résultats de son travail.

Contre-offensive gouvernementale

Vers la fin du mois de septembre, le gouvernement congolais lance une contre-offensive à la fois militaire et politique. Les avions envoyés dans l’est du pays servent à la fois à repérer ou à combattre la guérilla, mais aussi à " bombarder " de tracts la population. Ces instruments de propagande reprennent des photos (floues) de morts et de blessés attribués aux guérilleros, accusent Cuba et la Chine de s’enrichir en pillant les richesses du Congo et promettent la vie sauve et la liberté à tout porteur de ces tracts qui se rendrait à l’armée de Tschombe.

Le 29 ou 30 septembre, les mercenaires prennent Baraka puis Fizi aux alentours du 15 octobre. Lubondja, Lulimba, Front de Force, Kabimba vont également tomber tour à tour au cours de ce mois.

A cela, s’ajoute un facteur nouveau. Le 13 octobre, Kasavubu décrète à Léopoldville la fin du " mandat transitoire " de Tschombe. Evariste Kimba est chargé de former un gouvernement de réconciliation nationale. Pour beaucoup d’hommes entrés dans les forces révolutionnaires, la lutte ne se justifie plus, ceux-ci se battant contre celui que l’on peut considérer comme l’assassin de Patrice Lumumba.

La lettre d’adieux du Che à Fidel

C’est également au cours de ce mois d’octobre que le Che se voit infliger ce qu’avec du recul on peut considérer comme un coup de poignard dans le dos par Fidel Castro. Suite aux rumeurs incessantes lancées entre autre par la CIA, (le Che serait fou ou bien il aurait été tué par Fidel lors d’une altercation entre les deux hommes, etc.) le " lider maximo " rend publique au cours du premier comité central Parti Communiste Cubain la lettre d’adieu qu’Ernesto Guevara lui avait remise avant son départ. Cette lettre avait été écrite par l’Argentin afin de dégager Cuba de toute responsabilité s’il était tué ou fait prisonnier. Dans cette lettre, le Che écrit notamment qu’il renonce officiellement à toutes ses responsabilités à Cuba (à la direction du parti, à son poste de ministre, à sa nationalité cubaine même).

D’autres terres du monde réclament le concours de mes modestes efforts. […] Je quitte un peuple qui m’a adopté comme un fils ; une part de mon esprit en est déchirée. Sur les nouveaux champs de bataille je porterai […] l’esprit révolutionnaire de mon peuple, la sensation de remplir le plus sacré des devoirs : lutter contre l’impérialisme où qu’il se trouve. […] Je répète que je décharge Cuba de toute responsabilité, sauf de celle inspirée par son exemple. "

Pour tout le monde, il semble que le Che est donc mort. En fait, volontairement ou involontairement, Castro interdit à Guevara toute possibilité de retour dans la vie publique à Cuba. Le Che y retournera, mais clandestinement.

Dariel Alarcon Ramirez (Benigno, voir note 3), présent aux côtés du Che lorsqu’il apprend cette nouvelle par Radio Habana Cuba, confie à Pierre Kalfon que Guevara réagit en disant que " cette lettre ne devait être rendue publique qu’après ma mort. Ce n’est pas drôle d’être enterré vivant . Que ce soit intentionnel ou pas, me voilà écarté de la scène internationale." Selon Benigno, le Che aurait même lancé cette phrase en pensant à Castro : " Le culte de la personnalité n’est pas mort avec Staline ! ".

Castro a-t-il voulu se débarrasser politiquement d’un homme plus que populaire à Cuba ? A-t-il voulu donner des gages aux autorités soviétiques qui n’aiment plus beaucoup Guevara, notamment depuis le discours d’Alger, ou a-t-il commis une bourde monumentale ?

Toujours est-il que cela n’a pas dû aider à remonter le moral déjà bien bas du guérillero.

Retrait des Rwandais et des Cubains

La fin de ce funeste mois d’octobre 1965 qui voit le 28 la disparition à Paris et l’assassinat de Mehdi Ben Barka, opposant progressiste au roi (dictateur) du Maroc Hassan II, voit aussi le début de l’offensive des forces gouvernementales congolaises. La décomposition de l’Armée de Libération du Congo est bien entamée.

Tant sur le plan politique que sur le plan militaire, Kasavubu a repris l’avantage, notamment après la réunion des chefs d’état de l’OUA à Accra où a été décidé le départ des forces étrangères du Congo, qu’il s’agisse des mercenaires pro-gouvernementaux ou des combattants internationalistes cubains apportant leur aide à la rébellion. Nyerere lui-même a prié les Cubains de se retirer.

Pourtant, mercenaires et armée gouvernementale resserrent l’étau autour des forces de la guérilla.

Le 16 novembre, alors que le plan de retrait des Cubains est en train de se mettre en place entre la Havane, Dar Es Salaam et Kigoma, Ernesto Guevara reçoit cette lettre de Mundandi :

Camarade Tatu,

Concernant la situation qui est très grave, je vous fait savoir que je suis incapable de maintenir la position et d’assurer la défense. La population nous a déjà trahis, elle a donné les vaches aux soldats ennemis qui est mieux guidé que nous et a une meilleure information sur notre position. Je vous prie de me comprendre. J’ai décidé de battre en retraite. Je n’abandonne pas les camarades cubains, mais je dois assumer mes responsabilités face au peuple rwandais. Je ne peux exposer toutes les forces des camarades rwandais à un possible anéantissement, cela ne serait pas être un bon commandant révolutionnaire. Un révolutionnaire, marxiste de surcroît, doit analyser la situation et éviter un combat d’usure. Si tous les camarades sont anéantis, c’est par ma faute ; j’ai voulu aider cette révolution pour en faire une dans notre pays. Si les Congolais ne luttent pas, je préfère mourir sur notre sol – celui destiné au peuple rwandais. Si nous mourons en chemin, c’est bien aussi.

Recevez mes sentiments révolutionnaires, Mundandi. "

Le départ des combattants rwandais sera effectif le 18 octobre. La Tanzanie qui vient de bloquer sur son territoire plusieurs convois d’armes et de matériel destinés à la guérilla la lâche également. Massengo propose également l’arrêt du combat.

Le Che doit se faire une raison et commencer l’évacuation des Cubains. Pour sa part, il songe à rejoindre un autre front, celui de Mulele dans le Kasaï. Il réfléchit toute une nuit et finalement prend la décision de se retirer. " Ma troupe (cubaine) était un conglomérat hétérogène. D’après mon enquête, je pouvais en extraire jusqu’à vingt hommes qu me suivraient, bien que, désormais sans enthousiasme. Et après qu’est-ce que je ferais ? Tous les chefs se retiraient, les paysans affichaient de plus en plus d’hostilité envers nous. Mais l’idée de quitter complètement les lieux et de nous en aller comme nous étions venus […] m’était profondément douloureuse. […] En réalité, l’idée de rester au Congo m’a poursuivi jusqu’aux heures tardives de la nuit. " L’évacuation est donc décidée.

Une évacuation peu glorieuse

Alors que les forces gouvernementales et les mercenaires poussent de plus en plus, les Cubains embarquent à l’aube du 21 novembre pour Kigoma. Ils emmènent avec eux six ou sept Congolais et Rwandais qui se sont montrés courageux pendant la guérilla ainsi que Massengo et Tchamlesso. C’est pour Guevara un " spectacle douloureux, lamentable, bruyant et sans gloire ". Trois Cubains sont restés et seront évacués plus tard.

Et ensuite ?

Les combattants cubains évacués rentreront à Cuba ou iront aider les mouvements de libération des anciennes colonies portugaises (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau).

Le Che passera quatre mois à Dar Es Salaam dans l’ambassade de Cuba, clandestinement. C’est au cours de ces quatre mois qu’il retravaillera à son journal et à l’analyse de " l’échec " congolais. Forcé à la clandestinité depuis que sa lettre d’adieux à Castro a été rendue publique, il passera quatre autres mois à Prague avant de rentrer secrètement à Cuba.

C’est aussi au cours de cette année que l’engagement " communiste " (soviétique et cubain) en Afrique débutera réellement. En Ethiopie, en Angola, au Mozambique, au Zimbabwe… pour ne cesser qu’avec la chute de l’empire soviétique.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Pas grand chose serait-on tenté de dire. Pourtant l’aide cubaine en Angola réussira à stopper l’Afrique du Sud de l’apartheid et l’UNITA de Savimbi. Les colonies portugaises accéderont à leur tour à une tardive indépendance. Les régimes prétendument marxistes d’Afrique s’éteindront à leur tour, non sans avoir laissé derrière eux les morts de milliers d’opposants et des exemples de culte de la personnalité dont Eyadema, Mengistu ou Kabila en sont de parfaits exemples.

Kabila, lui, remplacera Mobutu à son poste et continue aujourd’hui la politique de son prédécesseur : corruption, népotisme, aide aux génocidaires rwandais… Il est aidé dans son ignominieuse politique par des dirigeants se réclamant du marxisme comme ceux de l’Angola ou du Zimbabwe…

Quant au Che, poursuivant une sorte de fuite en avant, il restera dans la clandestinité jusqu’à son assassinat le 9 octobre 1967 dans la petite école de la Higuera, en Bolivie. Son aventure bolivienne s’effectuera dans des conditions bien pire que celles du Congo et à la lecture de son " Journal de Bolivie ", on ne peut s’empêcher de penser à une sorte de suicide conscient.

Pour finir, voici ce que le Che écrivit en conclusion à l’épisode congolais de sa vie : " Durant ces dernières heures au Congo, je me suis senti seul comme jamais je ne l’avais été, ni à Cuba, ni nulle part ailleurs tout au long de mon errance à travers le monde. Je pourrais dire : jamais comme aujourd’hui je n’avais à ce point ressenti combien mon chemin était solitaire. "